Fantômes de M Exposition au Centre d’art et d’impression Arprim 6 au 22 mars 2025
À partir des lettres de ma grand-tante Marguerite, j’ai développé un projet artistique qui navigue entre sélection, destruction et remémoration. Mêlant l’archive et le fictif, les tactiques visuelles cherchent de nouvelles formes de survivance à travers une matérialité fragile.
Fantômes de M
Dans le chalet familial, je découvre, il y a quelques années, une grande enveloppe contenant des lettres écrites par ma grand-tante Marguerite. Elles sont adressées à sa sœur Laurentia, ma grand-mère paternelle. Datées de 1924 à 1945, elles proviennent des États-Unis, d’Italie, d’Indochine, de Polynésie, de France.
Les lettres témoignent d’un parcours audacieux et de son regard de femme sur une époque en changement. Marguerite ose le divorce malgré l’interdit de l’Église et quitte le pays pour l’Italie puis Hollywood afin de devenir cantatrice. Elle rencontre un colonel français à Tahiti et continue de parcourir différents territoires avec lui. Durant 20 ans, elle se déplace avant de rentrer après la fin de la guerre en 1946.
Parmi ses quelque 150 lettres manuscrites, un passage m’interpelle :
Tahiti, mardi 3 décembre 1930
Chère Laurentia,
J’ai pensé, pourquoi n’aurais-tu pas une boîte que tu pourrais tenir fermée à clé, et dans laquelle tu garderais cette correspondance ? En ce moment mes lettres peuvent te sembler bonnes à être censurées mais plus tard les choses ne se verront plus de la même manière. Ça peut devenir intéressant, il y a matière à roman, même plusieurs et pas banals.
Ce désir de transmission a été le déclencheur de cette proposition qui navigue entre sélection, destruction et remémoration. Laurentia a honoré la demande et conservé les lettres. Ma sœur poète et artiste, décédée à 31 ans, puis ma mère ont tenté d’écrire cette histoire, mais n’ont pu achever ce projet. Aujourd’hui, je me ré-approprie ce récit, mais je le transforme avec les matériaux de l’écrit et des archives.
À travers le fil de l’exposition, les présences fantomatiques de Marguerite apparaissent sous différentes formes. Je choisis quelques lettres et je les altère en les entrecoupant de blancs et de dessins. J’interviens sur les photos de ses voyages. Des tableaux nous déplacent dans l’es pace fragmenté du souvenir. Sur une table, le processus de création se donne à voir dans une recherche entre l’archive et le fictif.
Les tactiques visuelles explorent de nouvelles formes de survivance à travers une matérialité fragile. C’est une façon de composer avec la disparition. La transformer. La traverser.